Il y a des artistes qu’on aime pour leur style, leur talent ou leur créativité, et puis il y a les véritables coups de coeur, comme c’est le cas pour nous avec Marie Saudin, alias Mademoiselle Maurice. D’elle, on aime tout : ses oeuvres multicolores, son imagination et dévouement pour sa passion, ses messages engagés et sa philosophie. C’est une artiste complète, une voyageuse, une militante que nous avons le plaisir d’interviewer aujourd’hui. Régalez-vous avec la joie de vivre de Mademoiselle Maurice, une artiste urbaine hors-pair.
Quelle est ta conception personnelle de l’art urbain et en quoi consistent tes créations ?
Je ne pense pas avoir de conception pré faite de l’art urbain, car c’est justement de l’art et en ce sens tout est possible et l’on peut trouver de tout, des techniques variées, des messages divers. Finalement, l’art urbain, c’est de l’art de la rue, et il peut prendre une infinité de formes. Mais j’avoue que j’aime que l’art urbain surprenne, colore, et questionne, tout en étant un brin provocateur ou inhabituel.
Pour ce qui est de mes créations, je réalise dans les villes des installations éphémères et non dégradantes constituées de centaines de pliages papier, avec un agencement graphique et de couleurs spectrales qui laisse apparaitre soit des formes géométriques, soit des mots, ou encore des portraits.
Quand et pourquoi as-tu décidé que tes œuvres devaient être exposées dans la rue ?
J’ai commencé des installations urbaines en 2011 à Tokyo. J’expérimentais, un peu avant aussi mais rien de bien concret. J’avais besoin d’espace, de support et j’aimais se faire confronter créations et urbanisme, et surprendre. Mais j’ai réellement débuter mes premières installations en papier en 2012, à Paris. Quand j’ai commencé à travailler le pliage, l’accumulation, et ce avec des centaines d’origamis, je me suis vite rendue compte que mon espace de travail chez moi était bien trop petit… Alors j’ai décidé d’aller dans la rue, pour ne pas avoir de limite de tailles, de cadres, ou du moins beaucoup moins. Et puis j’avais des messages à faire passer, des coups de gueule. J’avais fini mes introspections intérieures, narcissiques et l’extirpation de mes démons sur des formats intimistes et timides. Du coup à partir du moment ou j’avais des choses à dire touchant l’humain et la nature, je me suis dit que cela concernait tout le monde. La rue est à tout le monde, alors j’y suis allée. Et puis j’ai continué parce que les murs me paraissaient trop gris et trop sages alors j’ai voulu leur amener de la couleur et surprendre les passants, pour au final chercher à leur transmettre avant tout des émotions positives, en cherchant leur sourire et pétillement de l’oeil.
Quelle est ta technique préférée : l’origami, la broderie, la dentelle ?
Question difficile car ces 3 techniques sont des procédés très anciens, et qui permettent de mettre en oeuvre des matériaux modestes et simples par un certain savoir faire. Chacun de ces procédés me parait magique et poétique.
J’avoue que la dentelle reste mon coup de coeur car cela rejoint le tissage, une technique quasi vieille comme le monde et dont le métissage de ces fils m’évoque les réseaux humains, des lignes de vie qui se croisent et se décroisent. La beauté d’un fil, d’une couleur se liant à d’autres est tellement sensible, fragile et résistante à la fois que tout ça c’est un paradoxe qui me procure une certaine émotion…
Que penses-tu de la situation actuelle du street art en France?
Il y a de plus en plus d’artistes urbains, de plus en plus de créations, de techniques, de supports et d’idées et cela fait plaisir. Je regrette juste qu’il n’y ait pas plus de villes qui s’investissent dans des projets d’art urbain. Des projets de médiation culturelle permettent de faire se rencontrer les gens, de tout milieu, de tout âge. Créer des installations artistiques avec la population a une vraie portée humaine et sociale, et permet de revaloriser les quartiers et habitants.
L’art n’est pas superficiel, c’est la base de toute chose et fondateur pour l’éducation, l’environnement et l’avenir de demain. Mais de ce point de vue, qui dit “Art” dit souvent “loin des préoccupations d’argent et de pouvoir”… Et tant que le bonheur du peuple n’est pas la préoccupation des élus, cela mettra du temps à changer…
Quand je parle de l’art, je parle aussi de l’action de créer, de prendre le temps, et de la pédagogie que l’on peut en tirer. J’ai passé une semaine dans un atelier d’art plastique au coeur d’une cité de la banlieue parisienne, et j’ai réellement pris conscience à cette occasion du rôle fondamental de l’action de création, pour les enfants et leur futur (ou du moins pour ceux qui ne rentrent pas dans les cases du système scolaire et qui pourtant ne sont pas plus bêtes).
Quelles sont tes références artistiques en matière de street art ou d’art en général ?
Oulàlà… Références références… Il y en a tellement ! J’ai été très interpellée et subjuguée par le travail de Banksy quand je l’ai découvert et je le suis encore. C’est un incontournable mais ce qu’il fait est tellement pertinent et réussi que je suis fan.
Sinon j’ai mes périodes mais en ce moment je suis amoureuse du boulot du duo de ETAM CRU, et aussi de Maya Hayuk, mais aussi du travail de LEVALET… et puis de bien d’autres aussi… Mais les références changent, les artistes évoluent et leurs créations aussi…
J’avoue que d’avoir participer à quelques festivals d’arts urbains (mon grand kiff) et de pouvoir rencontrer les artistes, ça fait vraiment changer du tout au tout la perception du travail des uns et des autres. Quand t’as le coup de coeur pour une personne, un humain, qui te raconte pourquoi il fait ce qu’il fait, et qu’il te parle de son travail, cela t’offre une nouvelle vision. Et puis à l’inverse, certains artistes dont tu admirais le travail et qui t’apparaissent comme “jme la pète/ snob ou je me prends trop au sérieux”, ben du coup ça perd de son charme… Finalement, tout est toujours lié…
Que retiens-tu de ton expérience au Japon ?
Tellement de choses… Déjà la beauté du pays, les coutumes, la bouffe !! Et avant tout ce contraste harmonieux entre tradition et modernité, le fait que les gens célèbrent l’apparition des premières feuilles d’automne tout comme les premières fleurs de cerisiers, la tolérance, le respect. Et les onsen ! Mais surtout, et ce ne fut pas de bon coeur, j’ai malheureusement retenu le séisme du 11 mars 2011, et ce qui s’en suit: le tsunami, Fukushima, etc. Du coup je suis rentrée après ça en mode “trauma” en pensant fort “Fuck le nucléaire”… Et là mes installations de papiers ont commencé.
Avec tes œuvres multicolores et ouvertement positives, tu apportes de la couleur à la grisaille urbaine. Quel message cherches-tu à transmettre ?
Alors vous l’aurez compris au début cela concernait un parti pris vis à vis du nucléaire… Et puis petit à petit, j’ai voulu élargir le message, par bon sens et logique, en cherchant à faire s’interroger les gens sur le lien homme/ nature. Et puis sur les liens qui nous unissent tous, en tant qu’humain. Car une fois encore tout est lié…
Plus concrètement, quand j’agence des centaines de pliages papiers, c’est comme si chaque pliage était un individu, et que des centaines d’individus peuvent ensemble mener à une action commune. Les couleurs de l’arc en ciel évoquent le métissage, la tolérance, l’harmonie. Quand je les vois je pense systématiquement à la nation arc-en-ciel de Nelson Mandela, à la ligue LGBT ou encore au Rainbow Warrior de Greenpeace. Chacun de mes pliages est un élément de la faune ou de la flore, comme si on essayait de faire rentrer un peu plus de nature dans la ville. On peut y voir des nuées d’oiseaux, des lierres multicolores, une foule de personnes ou juste des fourmis.
Je ne veux pas rentrer dans le cliché mais finalement c’est un peu un hymne à la paix, à l’amour et l’harmonie. Ca fait très Peace and Love tout ça c’est sur mais je suis plus dans cette lignée là que la version “Guerre et Haine”…
Et puis il s’agit aussi de faire réagir sur notre rapport à l’environnement, à l’énergie. Jusqu’à preuve du contraire, on n’est pas des mangeurs de plastiques alors je me dis que les priorités ne sont pas là ou elles devraient être. Parce que finalement la planète part en sucette à cause de ce que nous faisons égoïstement, tout en sachant que les hommes paraissent de moins en moins heureux et de plus en plus pressés, et ce même s’ils sont de plus en plus “riches”… Il y a l’air d’avoir une équation fausse dans le calcul et le procédé. Certes je ne suis qu’artiste, mais je sème mes petites graines à ma façon…
Combien de temps consacres-tu à la réalisation d’une œuvre comme celle que tu as élaborée à Malmö en Suède pour le festival Artscape ?
Les pliages se font en amont forcément car cela représente des heures et des heures de travail, ou plutôt des jours. Du coup je pars avec le sac-à-dos rempli de papier. Et puis pour l’installation sur le mur de Malmö, il a fallu deux jours. Mais j’ai eu la chance d’être aidée par une super équipe parce que on ne m’avait pas dit au départ que le mur serait de 10m par 10 alors forcément j’avais pas assez de papiers, il a fallu s’en procurer plus et replier vite vite le jour J !
On peut dire que tu as fait le tour du monde avec tes créations urbaines : France, Etats-Unis, Canada, Suède, Japon, Grèce, Singapour… Quelle serait ta prochaine destination « idéale »?
Waouh… Il y en aurait plein ! J’adore voyager, rencontrer les gens, découvrir… Ma prochaine destination idéale serait sans nul doute sur le continent Africain, mais plus vers l’Afrique sub saharienne. Parce que nos origines sont là bas. Et puis la brousse et certains peuples qui y vivent me fascinent. Je devais partir en Tanzanie cet été, notamment pour faire l’ascension du Kilimandjaro, mais suite à un souci de santé j’ai du y renoncer… Mais il était prévu que je prenne les papiers dans le sac à dos… Enfin… la prochaine fois à la rencontre des Massais… Mais si une autre occasion se présente, j’aimerai beaucoup y aller, et ce serait encore mieux si c’était dans le cadre d’un projet de médiation, avec une portée humanitaire ou environnementale.
Un petit détour par Barcelone ?
J’aimerai vraiment beaucoup ! J’y suis allée plusieurs fois mais c’était avant d’être une maniaque du pliage. La ville est superbe et il y aurait plein d’endroits à investir. Et puis j’avoue que les villes côtières, je suis fan. Pouvoir concilier la ville et le bord de mer, c’est juste l’alliance parfaite !
Parle nous de tes projets actuels…
C’est un peu le rush en ce moment car je vais peut être devoir aller très bientôt à Mexico pour un gros projet mais je n’ai pas le droit d’en dire plus… Sinon j’ai un joli projet en binôme avec l’association SKIN, et puis une expo / installation collective à la piscine MOLITOR à Paris. Peut être un projet à Londres. Des commandes de tableaux, et puis une expo collective à la Celle Saint Cloud, une installation en Chine, un projet à Sao Paul, une expo solo vers Toulouse (ODYSSUD). Bref l’agenda 2014 est bien rempli, et c’est tant mieux ! Et surtout pourvu que ça dure ! Mais ça on se sait jamais…
Si tu devais définir ton travail avec un unique adjectif, ce serait…
C’est dur, être concise c’est pas mon truc (vous l’aurez remarqué). Euh… Je réfléchis… Finalement, après réflexion je dirai juste: MILITANT.
Et si tu devais accompagner tes créations d’une bande-son ?
Ce serait un mélange de musique électronique, à la fois douce et à la fois avec de bonnes grosses basses, sur fond de murmures, tantôt japonais, tantôt anglais, tantôt français, avec des envols de cuivres et autres instruments acoustiques, accordéon, flûte et batterie comprises, un air qui partirait dans tous les sens, un brin hip hop, une touche classique, à la fois violent et à la fois sensuel… Voilà, un truc du genre.
Ta couleur préférée ?
En ce moment j’en ai 2: le bleu (azur de la méditerranée) et le vert (fluo des feuilles au printemps quand le soleil les traverse)
Tu nous confies un secret ?
Un beau projet international à venir pour 2015 en lien direct avec le Japon….
Découvre le travail de Mademoiselle Maurice sur sa page web :
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